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Mis à jour
23 avril 2021
LNC2

Mission Deep Time, une expédition scientifique souterraine pour tenter de comprendre comment notre cerveau s’adapte à un mode de vie dans un milieu nouveau, sans repère temporel.

Deep Time est une expédition inédite, conçue et dirigée par l’explorateur franco-suisse Christian Clot, à laquelle participe Etienne Koechlin, chercheur INSERM et directeur du Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles (LNC2).

 

Depuis plusieurs années, Christian Clot et les équipes du Human Adaptation Institute organisent des expéditions dans des milieux extrêmes au service des scientifiques qui s’intéressent à l'étude des capacités d'adaptation de l'être humain, leur offrant ainsi un cadre idéal pour mener des études en conditions réelles. La mission Deep Time fait partie de ce programme intitulé "Les Grandes Missions Adaptation". Etienne Koechlin et son équipe accompagnent l’explorateur depuis le début de ces missions.

Un groupe de personnes coupées du temps, dans un milieu totalement nouveau. Une expérience temporelle unique.

Photos de Bruno Mazodier et de Mélusine Mallander
Entrée de la grotte de Lombrives / Quatorze volontaires - Crédits photo : Bruno Mazodier. A l'intérieur de la grotte / Christian Clot - Crédit photo : Mélusine Mallander.

A partir du 14 mars, quatorze volontaires - sept hommes et sept femmes âgé(e)s de 27 à 50 ans – vivront dans la grotte de Lombrives en Ariège, isolés du monde extérieur et sans aucun repère temporel. Cet isolement durera quarante jours. Christian Clot fait, bien sûr, partie de l'aventure souterraine, ainsi que Margaux Romand-Monnier, membre de l’équipe d’Etienne Koechlin. Leur camp est installé au-delà de la zone habituellement ouverte au public. Dans la cavité, la température constante est de 12 degrés et le taux d’humidité s’élève à 95%. En surface, une trentaine de scientifiques encadrés par des responsables d'équipes issus de disciplines variées (neurosciences, psychologie, chronobiologie, éthologie, génétique etc.) sont mobilisés sur la mission. L’objectif est de tenter de répondre à trois questions : comment gérer la désorientation lorsque nous sommes soumis à une situation totalement nouvelle ? Comment notre cerveau et les fonctions cognitives associées s’adaptent en l’absence d'un marqueur temporel environnemental fondamental pour nos organismes, à savoir le rythme circadien (alternance jour/nuit), associé au manque de repères temporels artificiels (horloges) ? Comment un groupe d’individus parvient à fonctionner ensemble dans ces conditions totalement nouvelles de vie ? 

L’étude de l’impact de l’absence de repères temporels sur la plasticité cérébrale et les fonctions cognitives chez l’être humain.

La mission Deep Time est une opportunité extraordinaire de mener des recherches dans un cadre unique. Beaucoup d’études ont déjà été faites sur la chronobiologie, le métabolisme et sur la physiologie corporelle. Cette mission va permettre de mener des études scientifiquement pionnières et conceptuellement nouvelles sur l’impact de la disparition des repères temporels sur la plasticité cérébrale et sur les fonctions cognitives, spécialité du LNC2.

LNC2
De gauche à droite : Katia Dauchot, Margaux Romand-Monnier, Christian Clot, Etienne Koechlin. Crédit photo : Bruno Valentin et Julien Pannetier / Agence Zeppelin.

Etienne Koechlin et son équipe vont étudier, chez les quatorze participants, les modifications de densité de matière grise (partie du cerveau où se concentrent les corps cellulaires des neurones) et de matière blanche (composée de faisceaux de fibres qui connectent les différentes régions de matière grise et transmettent les communications entre les cellules nerveuses) dans différentes régions du cerveau. En parallèle, les chercheurs étudieront également les modifications éventuelles sur la représentation du temps, la représentation de l’espace, la perception, le jugement adaptatif, la prise de décision, la représentation émotionnelle et cognitive d’autrui et également sur les différents types de mémoire tels que la mémoire épisodique ou encore la mémoire associative. Ces études seront menées en partie dans la grotte et également en laboratoire. Les quatorze membres ont participé à des examens d’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle et à des tests cognitifs avant l’entrée dans la grotte. A la sortie, ils feront à nouveau ces mêmes tests pour permettre d’observer des modifications éventuelles. Parallèlement, une étude sur la notion de préparation mentale de type méditation sera menée. Une partie du groupe se conformera à un exercice mental quotidien, par cycle d’éveil. L’autre partie fera de l’exercice physique. L’objectif est de tester l’impact que peut avoir ce travail spécifique de préparation mentale dans ce contexte extrême de privation de repère temporel, sur la plasticité cérébrale et les fonctions cognitives. Cette étude sera menée par Katia Dauchot.

Une collaboration qui a démarré avec l’expédition Adaptation 4×30 jours.

DeepTime s'inscrit dans le programme d’expéditions « Human Adaptation » créé par Christian Clot il y a quelques années. Du mois d'août 2016 au mois de février 2017, Christian Clot a effectué une série de quatre traversées en solitaire de trente jours dans les milieux les plus extrêmes de la planète, en Iran, en Amazonie, en Patagonie et en Sibérie. Sa collaboration avec Etienne Koechlin et le LNC2 a débuté à ce moment-là. Margaux Romand-Monnier a d’ailleurs consacré sa thèse de doctorat à la capacité d'adaptation structurelle et fonctionnelle du cerveau en réponse à un environnement incertain et changeant.

MargauxLa jeune chercheuse a observé le cerveau de Christian Clot grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), avant et après chaque traversée. La comparaison des données a mis en évidence des changements de densité de matière grise communs aux quatre expéditions. « Cela suggère qu’il existe donc bien une adaptation structurelle en réponse à une adaptation à un changement d’environnement et que ces modifications structurelles sont détectables dès un mois » précise Margaux Romand-Monnier. Des zones telles que les cortex moteur et somato-sensoriel, liés respectivement aux mouvements corporels et aux sensations provenant de la surface du corps, ont vu leur densité de matière grise augmenter. Une hausse que pourrait expliquer la forte sollicitation de ces zones cérébrales lors d’une expédition en milieu extrême. A l’inverse, des diminutions ont été détectées au niveau des gyri parahippocampiques ou des jonctions temporo-pariétales, des zones liées à la mémoire et la représensation d’autrui, respectivement. Ces dernières observations pourraient s’expliquer par une moindre sollicitation de ces zones lors de la traversée en solitaire d’un environnement naturel, par rapport à l’environnement urbain et social qui sollicite considérablement la mémoire et nos rapports à autrui. « Toutefois, l’interprétation des résultats est limitée par le manque de mesures comportementales permettant de qualifier ces changements structurels, mais aussi par le fait qu’ils découlent de l’analyse d’un seul et unique participant » précise la jeune chercheuse. Le projet DeepTime s’inscrit dans la continuité de la thèse de Margaux soutenue en novembre 2019. Les scientifiques utiliseront la même méthodologie combinant des tâches comportementales à la neuroimagerie afin de pouvoir étudier les adaptations des individus vivant dans un nouvel environnement, dans ce cas en anomie temporelle.

Vivre l’expérience du point de vue du sujet

Durant ces quarante jours sous terre, Margaux effectuera des tâches, comme tous les autres membres du groupe. Outre les tâches attenant à l’entretien du camp, elle sera responsable scientifique des protocoles sur l'être humain et encadrera l’ensemble de ces travaux scientifiques effectués sous terre par l’équipe. « Je devrai m’assurer que toutes les études sont bien réalisées lors des cycles prévus pour chaque équipier par les équipes scientifiques restées à la surface, de la qualité, l’intégrité et la sauvegarde des données recueillies mais aussi de l’entretien du matériel scientifique dans ce milieu si humide» précise-t-elle.
Animée par une grande curiosité, Margaux a proposé sa candidature pour vivre l’expérience du point de vue du sujet. Elle avoue volontiers qu’elle n’y serait jamais allée seule et que le fait d’être en groupe fait toute la différence. « Je suis très impatiente de découvrir la grotte et les installations » dit-elle avec enthousiasme, quelques jours avant d’entrer dans la grotte.

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